La discrimination en matière de logement
- Session : 2016-2017
- Année : 2017
- N° : 22 (2016-2017) 1
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Question écrite du 07/09/2017
- de LEGASSE Dimitri
- à DE BUE Valérie, Ministre des Pouvoirs locaux, du Logement et des Infrastructures sportives
Face à la montée croissante des discriminations au logement le prédécesseur de Madame la Ministre avait voulu lutter contre ce phénomène en instaurant un système de tests pour identifier les propriétaires qui pratiqueraient ce type de sélection.
On constate en effet une augmentation des plaintes liées à ce phénomène puisqu’on est passé de 43 dossiers en 2010 (26 en Wallonie et 17 à Bruxelles) à 78 en 2014 (57 en Wallonie et 21 à Bruxelles).
A Bruxelles, c’est la discrimination basée sur les critères raciaux qui représente la majorité des cas tandis qu’en Wallonie, il y a une prédominance de problèmes liés aux moyens financiers.Madame la Ministre va-t-elle poursuivre cette mesure de contrôle ?
Quels types de discrimination viseront ces contrôles? Uniquement la discrimination basée sur les problèmes raciaux ou aussi la discrimination concernant le handicap ou les moyens financiers ?
Des agents seront-ils spécialement engagés pour ça ?
Peut-elle me donner plus de détails quant au modus operandi ?
Quelles sanctions les propriétaires se rendant coupables de telles discriminations encourront-ils ?
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Réponse du 26/09/2017
- de DE BUE Valérie
Comme l’honorable membre l’indique, le phénomène, s’il est intolérable, est encore officiellement relativement marginal (57 dossiers en Wallonie). Néanmoins, intuitivement, il apparait que ces chiffres sont certainement en-deçà de la réalité, les victimes renonçant bien souvent à s’en plaindre.
Il est indéniable qu’une minorité de bailleurs refusent des candidats locataires en raison uniquement de leur couleur de peau, de leur statut d’allocataire social, de leur sexe, songeons aux kots réservés aux filles par exemple, de leur orientation sexuelle, de leur âge, etc.
Consacré par l’article 23 de la Constitution, le droit au logement ne peut tolérer ces disparités inéquitables qui touchent principalement les locataires les plus fragiles.
La lutte contre les discriminations est consacrée par plusieurs instruments, dont la loi du 10 mai 2007.
Sont visées aussi bien les discriminations directes, comme l’annonce locative stipulant « Pas de locataires CPAS » ou « Étrangers s’abstenir » que les discriminations indirectes.
Les discriminations indirectes se produisent lorsqu’une disposition, un critère ou une pratique, apparemment neutre, est susceptible d’entraîner, par rapport à d’autres personnes, un désavantage particulier pour des personnes caractérisées par l’un des critères protégés.
Toute inégalité de traitement doit objectivement être justifiée par un but légitime et pour autant que les moyens de réaliser ce but soient appropriés et nécessaires.
Dans le rapport d’évaluation qu’il vient de publier sur les lois du 10 mai 2007 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme ou la xénophobie et certaines discriminations, « Unia constate que le critère de fortune est très présent dans l’accès au logement (refus de louer à une personne qui touche un revenu de remplacement tel qu’un revenu d’intégration sociale, une indemnité de chômage ou d’invalidité…) ».
Qu’il me soit permis de rappeler une décision importante rendue le 5 mai 2015. Le Tribunal de première instance de Namur a jugé qu’un propriétaire qui exigeait des candidats locataires qu’ils disposent d’un contrat de travail à durée indéterminée (ou au moins d’un contrat de travail) se rendait coupable de discrimination. Le propriétaire avait fait valoir qu’il voulait ainsi s’assurer de la solvabilité des locataires potentiels.
Mais le tribunal a estimé qu’il allait trop loin dans les conditions qu’il imposait : en effet, cela revenait à exclure des candidats locataires parfaitement solvables, mais sans contrat de travail (par exemple des personnes disposant de revenus mobiliers ou immobiliers, des retraités, des bénéficiaires d’une indemnité d’invalidité, des indépendants…). D’autre part, le tribunal a aussi indiqué que l’emploi et les revenus n’étaient pas garantis, même pour des personnes qui ont un contrat de travail à durée indéterminée.
Il est certes légitime pour un propriétaire de s’assurer de la solvabilité d’un candidat locataire, mais la loi ne l’autorise pas à exclure a priori toute une catégorie de personnes sans revenus du travail.
Unia relève également que de nombreuses plaintes pour discrimination n’aboutissent pas faute de preuves, même si une inversion de la charge de la preuve est possible sur le plan civil. La loi antidiscrimination manque ainsi souvent son effet.
Les tests de situation sont, par exemple, selon Unia un moyen avéré d’établir une discrimination. Comme la loi ne mentionne pas explicitement cette possibilité, ces tests restent très fragiles d’un point de vue juridique. « Les auteurs de discrimination peuvent aujourd’hui affirmer que les données ne peuvent pas être utilisées comme preuve contre eux parce qu’elles ont été obtenues de manière illégitime. Il faut changer cela. »
Unia a déjà mené des actions en aidant l’Institut des Professionnels de l’immobilier à établir une check-list des renseignements qui pouvaient ou non être demandés aux candidats locataires.Le Projet de décret que j’ai déposé au Gouvernement en troisième lecture y fait référence explicitement : « Le bailleur choisit le preneur librement et sans discrimination, au sens du décret du 6 novembre 2008 relatif à la lutte contre certaines formes de discrimination. »
Dans la note déposée par mon prédécesseur sur la réforme du bail d’habitation, il a été proposé au Gouvernement de renforcer la lutte contre les discriminations, d’une part, en autorisant la réalisation de « contrôles-mystères » par des personnes dûment autorisées, et d’autre part, en veillant à assurer une communication ciblée envers les associations représentatives des propriétaires et les agences immobilières afin de les sensibiliser à la problématique de la discrimination.
Cette intention ne s’est, par contre, pas concrétisée dans les textes puisque seule une habilitation au Gouvernement avait été prévue. Cette dernière a été vertement critiquée par le Conseil d’État : « Les dispositions que peut prendre le Gouvernement à cette fin sont nécessairement de nature à emporter des ingérences dans le droit au respect du domicile et dans le droit au respect de la vie privée et familiale, que garantissent respectivement les articles 15 et 22 de la Constitution. Il appartient au législateur de fixer lui-même les règles essentielles à respecter en la matière, et non pas de se limiter à charger le Gouvernement de « définir des modalités particulières de contrôle du respect » de l’article 1762ter en projet. L’avant-projet sera revu en conséquence. »
Force m’est de constater que les documents transmis par mon prédécesseur n’ont pas suivi cette recommandation : seul le commentaire de l’article avait été modifié.
J’ai donc décidé de conserver une liste positive des renseignements que le bailleur est autorisé à demander à son candidat-preneur, mais de remettre à plus tard l’insertion de cette modalité de contrôle. Un groupe de travail rassemblant UNIA, le Syndicat national des propriétaires et copropriétaires et le Rassemblement pour le Droit à l’Habitat sera réuni prochainement pour trouver une formulation respectueuse des droits des deux parties garantis par notre Constitution.
Je veillerai parallèlement à mettre en place des actions d’information auprès des locataires, des bailleurs et des agents immobiliers, via des brochures ou des campagnes de sensibilisation ou par le biais du site portail de mon administration en concertation avec UNIA, complémentairement avec les initiatives déjà prises.
Il sera notamment fait écho du type de renseignements et de documents qu’il est légitime de solliciter auprès de candidats locataires.
Nous aurons l’occasion de débattre dans cette enceinte de ces questions lorsque je déposerai prochainement le projet de décret relatif au bail d’habitation.